Nous remercions Guy Dutau pour son autorisation de partage de son exposition.
La purification des lettres
à Odessa

Au début du XIXe siècle, ODESSA comportait déjà deux ports, Odessa et Youjny (aujourd’hui un important terminal pétrolier). À cette époque, il existait un Comité de Santé et une Quarantaine, ces deux institutions étant indépendantes. Le Comité était présidé par le Gouverneur : Armand du Plessis, duc de Richelieu de 1803 à 1814, considéré comme l’un des pères fondateurs de la ville. Le Bureau de Santé était dirigé par un Inspecteur de la Santé, le chevalier de Rosette ; il était composé de trois membres (deux inspecteurs, un médecin, un secrétaire, et une chancellerie). La Nouvelle Quarantaine fut construite sur un terrain qui, de tout temps, était destiné à recevoir des bâtiments venant des « Mers de Turquie ». En vingt-quatre heures, le chevalier de Rosette, Inspecteur de la Quarantaine vit arriver 154 navires de CONSTANTINOPLE qui n’était qu’à deux ou trois jours de navigation d’ODESSA. Le nouveau règlement de l’établissement fut calqué sur celui de MARSEILLE. C’est dire l’importance sanitaire de la ville entre la Mer Noire, la Mer Egée et la Méditerranée. Et pourtant, contrairement à d’autres lazarets de Méditerranée, la purification du courrier à ODESSA a laissé peu de traces ...
Références
Essai sur l’histoire ancienne et moderne de la nouvelle Russie. Tome III, Seconde édition. Rey & Gravier Libraires, Quai des Augustins, n°55, Paris, 1827.
Odessa. http://fr.wikipedia.org/wiki/Odessa
Dans son ouvrage monumental, KF Meyer écrit à propos de la désinfection des lettres en Russie : « en dépit du fait que la Russie eut à souffrir d’une terrible épidémie de choléra en 1840-1849 au cours de la quelle il y eut plus d’un million de morts, il n’existe qu’un très petit nombre de griffes de désinfection. Un collectionneur de lettres purifiées est heureux s’il peut réunir quelques lettres des principaux lazarets de désinfection comme KERCH ou ODESSA ».
En fait, les premiers règlements sanitaires adoptés en Russie datent de 1571 pour stopper la progression d’épidémies de peste entre la mer Caspienne et l’Allemagne, puis entre la Crimée et le sud de la Russie. De plus, les lettres provenant de Constantinople étaient soumises à la désinfection. Ses modalités furent, comme dans d’autres pays, l’exposition à la flamme des lettres ouvertes, ou l’immersion dans du vinaigre. Durant la peste de Moscou (1870-1871), on rapporte que les lettres adressées au Tsar étaient désinfectées à la flamme, puis copiées plusieurs fois, avant que la transcription finale ne soit remise au souverain ! Pendant cette épidémie, à Moscou, les employés de la poste devaient porter des gants avant de toucher les lettres qui provenaient des régions infectées. Les journaux étaient tenus avec des pincettes, incisés, et exposés à la flamme. Quant aux lettres, elles étaient ouvertes et exposées à des fumigations denses. Toutefois, nous n’avons pas rencontré de lettres purifiées de ces périodes : les premières que nous connaissons datent du début du XIXe siècle, et leur purification fut motivée par les épidémies successives de choléra qui dévastèrent la Russie à plusieurs reprises.
En effet, pendant le XIXe siècle, toutes les dispositions sanitaires ont eu pour objectif de prémunir le pays contre le choléra grâce à des lazarets maritimes disposant d’hôpitaux et de ports de quarantaine et de cordons sanitaires, en particulier aux frontières. Les principaux lazarets sont ceux de KERCH et surtout d’ODESSA qui fait l’objet De cette présentation. D’autres stations sanitaires ont existé à ARCHANGEL, KRONSTADT, SAINT PETERSBURG, TROITSKOSAVSK, etc. Les lettres purifiées les plus anciennes rapportées par KF Meyer datent du début des années 1830. Ces dates sont comparables à celles de nos lettres, comprises entre 1835 et 1900.
Références
Meyer KF. Russia. In : « Disinfected Mail ». The Gossip Printery Inc., Holton, Kansas, USA, 1963 (1 vol. 341 pages) : pp. 290-3.
Pratique. Quarterly Newsletter of the Disinfected Mail Study Circle : nombreux articles (voir : index vol. XVI to XXV).
Taparel H (communications personnelles).
Port de quarantaine, près du Yacht Club de Catherine

1900
Vue générale de la quarantaire

1904
Navires en fin de quarantaine

1835
Lettre écrite en rade d’ODESSA (12 octobre) (1) depuis le port de quarantaine pour NIZZA marittima (Regno di Sardegna). Le texte indique que le capitaine a quitté Alger le 10 septembre pour arriver à Constantinople le 30 du même mois. La purification à Odessa est authentifiée par la griffe sur 2 lignes inscrites dans un rectangle à bords arrondis de 45 mm x 20 mm : «Ochishcheno Vodesskom. / Karantine»
ou littéralement «Purifiée à la quarantaine d'Odessa» (2).Elle est matérialisée par 3 entailles (une sur le bord supérieur, deux sur le bord inférieur) (3) et des perforations punctiformes multiples au gaufrier (4).
Cette lettre, non prise en charge par le service postal, confiée à un intermédiaire, est parvenue à son destinataire probablement par voie maritime le 2 novembre 1835.


1838.
Lettre d’ODESSA (17 janvier) pour BORDEAUX (20 février) par la voie d’Autriche entrée par HUNINGUE (1), bureau d’échange français, qui frappe, également en rouge, le nombre 11 (2) ce qui indique au taxateur français qu’il devra comprendre dans la taxe finale, 11 décimes pour une lettre simple au titre du parcours étranger. Le poids de la lettre pesée à Bordeaux est de 8 grammes, indiqués dans l’angle supérieur gauche (3), soit 1½ port selon le tarif de 1828.
La taxe finale payée par le destinataire français se décompose ainsi :
-11 décimes x 1,5 (lettre de 8 g.) pour le parcours étranger : 17 décimes.
-15 décimes (600/750 km) pour le parcours français depuis Huningue pour une lettre pesant 8 grammes soit au total 32 décimes inscrits sur la lettre (4).
Cette lettre a été désinfectée 2 fois :
Au cordon sanitaire d’ODESSA : perforations au rastel, 4 entailles, et griffe de désinfection
inscrite dans un rectangle « Désinfecté au cordon sanitaire extérieur d’Odessa » (5).
À BRODY : mention manuscrite à l’encre rouge « Netto difuora FA Brody 3/2 838 » (6).
Cette lettre est décrite dans l’ouvrage de KF. Meyer à la page 292 (b).
Ex. Coll. KF Meyer.

1839.
Lettre de TRIESTE (30 septembre) pour BERDIANSK en Ukraine 1confiée à son frère Emilio : «Approfito dell’ occasionne di tuo fraterlli Emiulio per darta mi nuove ...».
Purification à ODESSA (17 octobre ) matérialisée par deux entailles sur le bord supérieur et une entaille sur le bord inférieur, associées à des perforations multiples au rastel.
Cette purification est certifiée par la griffe inscrite dans un rectangle (46 mm x 20 mm) : «OCHISHCHENOV / ODESSKOM. KARANTINE /17 OCTOBRE 1839 ». (Purifiée à la quarantaine d’Odessa / date) Cette griffe est toujours (mal) frappée au verso en noir (1839-1846). Celle-ci correspond à l’une des premières dates connues.
Ville fondée en 1827 sous le nom de Koutour-Ogly. Elle fut rebaptisée Novo-Nigaïsk en 1830 et reçut le statut de ville en 1835.Son nom actuel de Berdiansk lui fut donnée en 1842.Entre 1939 et 1958, la ville était connue sous le nom d'Ossipenko, emprunté à un village voisin. Berdiansk est une cité balnéaire.
1846.
Lettre de CONSTANTINOPLE (26 mars) pour ODESSA (16 avril) où elle a été désinfectée (3 entailles + perforations au gaufrier) : indication du mouvement de bâtiments. Griffe de purification dans un cadre rectangulaire double de 48 mm x 28 mm.
« OCHISHCHENO V / ODESSKOM. KARANTINE / DATE (jour/mois/année)»

1854.
Lettre d’ODESSA (10 avril) pour le Consul général de Sa Majesté Sicilienne à Odessa remise directement sans passer par la poste comme c’est l’usage. Cette lettre a bénéficié d’une désinfection intérieure et extérieure sans entailles au chlore gazeux qui a laissé des traces de décoloration au recto. Au verso, se trouvent : d’une part, la griffe de purification ovale «OCHISHCHENO V / ODESSKOM. KARANTINE /10 AVRIL 1851 » (1) et, d’autre part, le cachet de cire qui a scellé la lettre (2).

1854.
Lettre de GAVANO2 (10 janvier) à ODESSA (13 avril), pour le Consul de Toscane, et remise aux autorités consulaires, sans passer par la poste. Le texte (3 pages datées des 10, 19 et 24) indique l’arrivée d’un navire et sa soumission aux opérations de désinfection. Griffe ovale de désinfection de type E de Migliavacca « Purifiée à Odessa/date ».
Après désinfection extérieure et intérieure au chlore gazeux sans entailles, la lettre a été scellée par le cachet de cire de la Quarantaine d’Odessa : ОЧИШ.ВЪ ОДЕС/КАРАНТИНЬ.
Gavano est un hameau faisant partie de la commune de Molini di Triora (moins de 800 habitants actuellement mais 3032 en 1861) près d'Imperia en Ligurie.
Comme le signale KF Meyer dans son ouvrage, on connaît des lettres purifiées à Odessa (perforations au rastel), mais dépourvues de griffe attestant des opérations de purification. Toutefois ces lettres, surtout connues au cours de l’épidémie de choléra de 1829-1830, sont principalement destinées à Vienne ou à Gênes.
1851.
Lettre de ROME (27 septembre) pour ODESSA reçue le 18 octobre (mention de réception écrite de la main du destinataire) par CONSTANTINOPLE (1er octobre). Elle est sans mention de port, probablement en raison de la qualité de son destinataire, le Consul Pontifical à Constantinople qui se trouvait alors à Odessa. La griffe ovale pourrait ressembler au cachet de purification de type E de Migliavacca, mais, à défaut d’être mieux frappée, on doit penser qu’il s’agit d’un timbre à date d’arrivée à Odessa ?
La désinfection est caractéristique du lazaret d’Odessa : 3 entailles et perforations irrégulières. Ces perforations sont volumineuses, ce qui traduit l’emploi de plusieurs rastels.

En mai 1897, pour sécuriser l’Empire contre les risques d’épidémie de choléra, le Ministère des Affaires Intérieures édicte les règles suivantes pour les objets postaux en provenance de pays ou régions infectés : les lettres et papiers avec de la correspondance en provenance de zones infectées doivent être désinfectées «à la vapeur» (chlore gazeux). Les lettres et paquets avec valeurs déclarées originaires de zones infectées ne seront pas distribués. Les paquets et journaux avec articles en provenance des zones infectées dont l’importation est interdite ne seront pas acceptés. La désinfection se fera : I) à la frontière occidentale (à Verzhbolovo, Aleksandrov, Granitsa, Volochisk et Radzivilov), II) dans les ports d’Odessa, Sébastopol, Batoum, Bokou et Vladivostock. ПІ) à la frontière perse à Dzhulfa et Gaudan, IV) à la frontière chinoise à Troitskosavsk. Pour certifier de la désinfection, les lettres et papiers seront frappés de la griffe « ОБЕЗЗАРАЖЕНО » (litt. : désinfecté). La griffe « ОБЕЗЗАРАЖЕНО » n’est pas particulière à Odessa.
1899.
Lettre recommandée de KARIMPUR au Bengale (19 décembre) (1) pour BUKHARA (2), actuellement en Ouzbékistan via ODESSA où elle est arrivée le 7 janvier 1900 (3) après avoir voyagé par steamer: timbre à date « SEA POST OFFICE » (23 décembre 1899) (4). À ODESSA, elle a reçu au recto la griffe de purification « ОБЕЗЗАРАЖЕНО » (5), puis a été remise dans le circuit postal à ODESSA (6) le 17 janvier 1900 (calendrier julien). L’absence de timbre d’arrivée à Bukhara peut s’expliquer par la raison sociale du destinataire (un important courtier-négociant) et le trajet encore difficile et long à parcourir : la lettre a pu être récupérée à Odessa par l’agent lui même ou l’un de ses représentants tenant bureau de représentation dans le port. Cette lettre portant le n° 153 de recommandation, il a eu moins de 160-170 lettres recommandées à Karimpur en 1899 !!!

LA PURIFICATION DES LETTRES À ... TROITSKOSAVSK
1900.
Lettre de PÉKIN (21 janvier) (1) affranchie au tarif du 1er échelon de poids pour l’étranger avec un timbre-poste à 10 kopecks aux Armes Impériales, surchargé KITAÏ (CHINE), des bureaux russes en Chine. La lettre emprunte la route postale russe PÉKIN— KALGAN par voie ferrée, puis par voie de terre à travers la Mongolie le trajet SAIR-USSU, URGA et KYAKHTA, poste frontière qui jouxte son homologue russe de TROITSKOSAVSK. Dans cette localité frontière, conformément à la circulaire de 1897 (cf. page précédente), elle est désinfectée et reçoit la griffe violette « ОБЕЗЗАРАЖЕНО. » (2) et le timbre à date de TROITSKOSAVSK le 7 février (3). Ensuite son parcours est classique : elle rejoint la ligne du Transsibérien, à VERKHNE UDINSK, via MOSCOU (timbre à date du XIe bureau) (4), puis sa destination finale de SCHIEDAM aux Pays-Bas le 9 mars (5). La griffe « ОБЕЗЗАРАЖЕНО. » présente un point final, contrairement à la précédente d’ODESSA, et est légèrement incurvée. La lettre est fermée par le cachet de papier (wafer seal) de la « LÉGATION DES PAYS BAS À PÉKING ».
